contenu dans / Joëlle KivitsTitre : | Chapitre 8. L’observation | Type de document : | Chapitre d'ouvrage | Auteurs : | Rose-Anna Foley, Auteur ; Emilie Bovet, Auteur ; Christina Akré, Auteur ; Julie Castro, Auteur ; Julie Dubois, Auteur ; Audrey Linder, Auteur | Pages : | p. 215-233 | Langues : | Français (fre) | Résumé : | L’observation est l’une des plus longues traditions de la recherche qualitative (voir chapitre 1 de cet ouvrage). Elle donne une nouvelle impulsion aux anthropologues, à la fin du xixe siècle, lorsqu’ils et elles[1]Dans ce chapitre, nous utilisons autant que possible des termes…
commencent à quitter leurs bureaux et « fauteuils » (« armchair research ») (Céfaï, 2000) pour aller se frotter au terrain, à la vie telle qu’elle se déroule au quotidien dans différentes communautés. Des anthropologues comme Malinowski en Grande-Bretagne et Boas aux États-Unis sont considérés comme les fondateurs de ce type de démarche dite ethnographique. En optant pour l’étude du « lointain », la compréhension des systèmes de croyances, des arrangements sociaux et des flux migratoires des sociétés alors dites « exotiques », ces anthropologues mettent au jour des systèmes d’échange complexes, comme « la Kula » en société trobriandaise, dont l’analyse permet de comprendre les positions, normes et valeurs qui structurent cette société. Depuis lors, les études basées sur l’observation n’ont eu de cesse de se multiplier et de s’affiner. Certaines ethnographies séminales ont d’ailleurs été répétées. L’anthropologue Weiner, en revenant sur le terrain trobriandais plusieurs années après Malinowski (1963) et en analysant cette fois les pratiques du point de vue des femmes, a décrypté des éléments nouveaux qui remettent en cause à plusieurs égards les premières analyses (Weiner, 1978). C’est dire l’importance du point de vue de celui ou de celle qui observe, et de sa propre réflexivité tout au long de ses observations.
Par le décentrement qu’offre le « lointain », ces recherches viennent en retour interroger les sociétés occidentales. Ces productions ont ainsi parfois permis de remettre en cause les théories évolutionnistes en ne plaçant plus la civilisation occidentale au-dessus des autres et en ce qui a trait aux rapports de pouvoir qui structurent les sociétés. Mead (1963) et Héritier (1996), anthropologues pionnières de l’observation du « lointain », ont notamment montré combien les rôles masculins et féminins des sociétés humaines, loin d’être naturels, sont socialement construits différemment, voire sont inversés dans certaines sociétés par rapport aux sociétés occidentales, même si la distinction entre le féminin et le masculin existe partout.Dans les années 1960, les sociologues de l’École de Chicago introduisent l’observation dans des enquêtes menées au sein de leur propre société. Ils et elles conservent toutefois la même volonté d’analyser de l’intérieur et dans leur contexte « naturel » des groupes, des organisations et des communautés. L’unité de base de l’observation est alors l’interaction sociale, c’est-à -dire le fait que des personnes se réunissent pour faire des choses en commun (Becker, 2002).Cette double tradition, anthropologie culturelle et sociale du « lointain » d’une part, et sociologie des organisations et groupes sociaux des sociétés occidentales de l’autre, pose les bases de l’observation. Elle consiste ainsi à entrer dans un contexte pour apprendre et comprendre avec un œil neuf comment les membres d’un groupe voient le monde et agissent.Le milieu de la santé et l’hôpital occidental ont rapidement été considérés comme des lieux propices à l’observation et ont fait l’objet de recherches devenues des classiques du genre (Strauss, 1961 ; Becker, 1961 ; Goffman, 1961). Celles-ci se sont intéressées à la socialisation au savoir médical, mais aussi aux pratiques en train de se faire, à l’organisation de la santé et aux politiques publiques (Savage, 2000). Puis, avec le tournant interprétatif, l’individu et son rapport subjectif à la maladie sont devenus centraux dans bon nombre de recherches, notamment en anthropologie médicale (Biehl et al., 2007). L’observation dans le champ de la santé a donc aujourd’hui derrière elle une longue tradition de recherches portant, entre autres, sur l’expérience et le vécu des patients et patientes, les pratiques professionnelles, la relation entre le personnel soignant et les personnes soignées dans les contextes institutionnels, les orientations des institutions et les politiques publiques, ainsi que les mobilisations collectives en lien avec des questions de santé (voir l’exemple décrit dans le chapitre 16).À partir des années 1990, l’observation se diversifie et est mobilisée au-delà du champ des sciences sociales stricto sensu. On s’en empare dans les études de marketing, de design, ou encore dans les sciences infirmières et médicales. De nombreuses appellations figurent dans la littérature : observation, observation participante, observation directe, démarches observationnelles. L’ethnographie se réfère à sa forme la plus classique, l’immersion longue, régulière et approfondie de la chercheuse ou du chercheur, qui peut même vivre sur son lieu d’étude. Si cette version canonique de l’observation continue à se faire, elle tend également à être remplacée par « l’observation ethnographique » qui se compte de plus en plus en jours de présence sur un ou des terrains pour des durées de plusieurs semaines ou de quelques mois. Des formes de terrains condensés (Emerson, 2005), des observations ciblées (Knoblauch, 2005), des formes d’ethnographies rapides (Vindrola-Padros, 2021), plus pratiques à réaliser et moins coûteuses deviennent ainsi courantes dans la recherche en santé et en santé publique. Ces variantes allégées présentent toutefois le risque de réaliser des observations superficielles regardant l’action se dérouler trop à distance, par le trou de la serrure (« peep-hole research ») (Céfaï, 2000).L’observation reste l’outil des démarches qualitatives qui mobilise le plus la chercheuse ou le chercheur vis-à -vis du contexte social qu’il ou elle étudie, et ce quels que soient la posture adoptée et le degré de distance instaurée (Grbich, 1998). Elle peut ainsi être vécue comme une expérience inconfortable et déroutante puisqu’elle implique souvent d’endosser un ou plusieurs rôles sur le terrain afin d’y trouver une place, et qu’un véritable apprentissage « culturel » est aussi requis pour pouvoir analyser et rendre intelligibles les pratiques observées du point de vue de celles et ceux qui les vivent (Becker, 2002). De fait, si les techniques varient, l’objectif, lui, devrait toujours être le même : entrer dans le monde d’autres personnes pour saisir avec un œil aiguisé – à la fois critique et empathique – le sens qu’elles attribuent aux choses et les logiques qui orientent leurs actions. La relation de la recherche avec le monde de la pratique se pose donc de manière marquée avec l’observation puisque la chercheuse ou le chercheur est confronté·e quotidiennement, en situation d’observation, à celles et ceux qui font et agissent, dans le soin et autour de celui-ci.
Ce chapitre présente les implications d’une telle démarche, les outils et les précautions qui s’imposent, mais aussi les apports du travail sur le terrain. | Permalink : | https://bibliotheque.helb-prigogine.be/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id= |
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