Résumé : | Si tout acte de soin comporte une irréductible part de violence, la chirurgie est doublement concernée. Elle est agressive car souvent douloureuse et toujours dangereuse. Elle est transgressive car elle nécessite l’ouverture du corps entraînant un écoulement de sang. L’interdiction de l’ouverture du corps humain (cadavre ou vivant) est une constante de l’histoire de l’humanité et le sang a toujours été étroitement lié avec la violence. Depuis la disparition du bourreau, le chirurgien est le seul dans la société à avoir légitimement le droit « d’attenter à l’intégrité physique d’une personne humaine » en la faisant saigner. Grande est sa responsabilité morale. S’il oubliait la finalité de son geste – la personne de l’opéré –, il risquerait de le réduire à un pur acte technique. La chirurgie franchirait alors les limites de la « chirurgicalité ». L’objectivation excessive de l’opéré, le déshumanisant, correspondrait à cette fuite. D’autant que l’acte chirurgical est éminemment technique et la prégnance de l’appareil techno-scientifique à son service de plus en plus grande. Tant mieux si cette violence, maîtrisée par l’absolu contrôle de sa technicité, vise à rétablir le patient dans son pouvoir-être au monde. Mais danger, au contraire, lorsque enivré en quelque sorte par cette violence, l’opérateur entrerait dans la démesure, ouvrant alors les portes de la barbarie. La chirurgie, comme toute médecine, consiste à prendre soin d’une personne humaine, ce qui en fait une action morale. Sans jamais en occulter la dimension nécessairement violente, elle impose à son agent un respect d’autant plus grand pour son opéré. |