Note de contenu : | L’Inde compte entre deux et trois millions de prostituées selon les estimations, dont les trois-quarts sont âgées de moins de 17 ans. Leur nombre est le double ou le triple en Chine, sans compter les concubines. Aux Philippines, pays de 100 millions d’habitants, 500 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, travaillent dans l’industrie de la prostitution, selon le Bureau international du travail.
En Asie du Sud-Est, les touristes occidentaux ne représentent qu’un faible pourcentage des clients des bordels locaux. Mais les hommes venus d’Europe, des États-Unis ou d’Australie, attirent une frange des jeunes femmes pauvres qui voient dans ces Occidentaux la possibilité de rencontres bien plus rémunératrices. Cette économie occulte, traite moderne des femmes, représenterait entre 2 et 14 % du PIB dans la région.
Comment raconter cette tragédie ? La plupart des reportages choisissent de montrer le mal : rues chaudes aux couleurs criardes, rouges et jaunes ; Occidentaux bedonnants enlacés à des gamines en mini-short trop vite grandies ; jeunes touristes rigolards en virées alcoolisées au bras de prostituées miniatures, outrageusement maquillées. Ces images suscitent la nausée et la colère, avec le malaise qui accompagne toujours le spectacle du sexe, de l’argent et de la jouissance qu’un homme s’arroge parce qu’il est né du bon côté et que ses quelques billets valent plusieurs mois de salaires dans un pays pauvre.
Les photographes allemands Stefan Finger et Insa Hagemann ont choisi de renverser le regard. Surpris par le nombre d’enfants métis dans les rues aux Philippines, ils ont cherché à en connaître la raison. « La vie, c’est ce qui t’arrive quand tu es occupé à prévoir autre chose », disait John Lennon. Stefan Finger et Insa Hagemann ont découvert que ces gamins métis étaient presque tous des enfants de prostituées. Ils ont décidé de raconter le tourisme sexuel à travers quelques-uns des milliers d’enfants qui naissent, chaque année, de père inconnu, d’un homme de passage quelques heures ou quelques semaines dans les nuits de leurs mères prostituées.
Avec pudeur, en vivant au milieu d’eux, dans ces familles bricolées par la prostitution internationale, ils donnent à voir une réalité bien plus dérangeante que les bordels ou les plages avec leurs nuées de filles perdues. Comment vivre quand on porte sur sa peau que l’on est le fruit d’un viol tarifé ? Sans voyeurisme, ce reportage donne à voir cette réalité tragique, avec plus de force que toutes les « nuits de Manille ».
De très nombreux photojournalistes préfèrent l’image choc qui va provoquer. Sur Google, les mots « shocking picture » font apparaître 39,3 millions d’occurrence, et « sex tourism picture » 11,4 millions… Le travail que nous sommes fiers d’accueillir dans 6Mois montre un chemin différent. Stefan Finger et Insa Hagemann ont choisi de raconter le monde autrement, même sa face la plus sombre. Ils nous invitent, comme photographes et comme journalistes, à troubler plutôt qu’à choquer, à suggérer au lieu d’imposer, à questionner plus qu’à affirmer. Depuis le premier numéro de 6Mois, c’est notre ligne de conduite, confiants dans l’intelligence du lecteur. |