Résumé : | Une jeunesse dans la civilisation du vin!La jeunesse définit une période intermédiaire entre deux statuts, celui de l’enfant et celui de l’adulte. Entrer dans la vie d’adulte, c’est franchir des étapes sociales introduisant aux rôles d’adulte (Van Gennep, 1909). Dans la société traditionnelle du xixe siècle, elles s’opèrent lentement : la première prise de culottes longues vers 7 ans pour le garçon, la communion solennelle, vers 12 ans, le mariage, vers 20 ans. Toutes sont ritualisées et acceptées. La législation du travail qui réglemente l’entrée dans la « vie active » – après 8 ans selon la loi de 1840 –, la fin de la scolarité obligatoire après 13 ans à partir de 1882, puis 14 ans après 1936, l’instauration du service militaire obligatoire à 18 ans à partir de 1872, marquent autant d’étapes nouvelles dans le processus de maturité de l’enfant.
Toutes sont l’occasion de fortes ivresses, célébrées par la littérature et les arts. Elles sont fortement arrosées [1]
[1]Pensons à la « quand est-ce (qu’on boit) ? » de l’apprenti,…
(Fillaut, 1991). Mais en dehors de quelques dérapages en situation de fête, la consommation est quotidienne, pour cette jeunesse, sous le regard et le contrôle de la famille… ou de l’école [2]
[2]Une étude historique sur les cantines scolaires montre que la…
(Frioux, Nourrisson, 2015). Par le vin, il apprend à boire et à se tenir en société, y compris à l’école : « Si le buveur banal ingurgite, lampe, l’homme de goût déguste avec tendresse et modération [3]
[3]Selon le film fixe d’enseignement Le vin (réalisation : Office…
. » Le jeune, sur l’ordre de ses aînés, est porteur de bouteilles depuis le marchand de vin local et trinque volontiers, « comme un grand ». La société tout entière trempe dans le vin jusque dans les années 1950.
Le xixe siècle est le temps d’une alcoolisation juvénile que l’on pourrait qualifier d’innocente. Certes, l’alcoolisme a déjà été défini (Magnus Huss, années 1850) et le mouvement anti-alcoolique (Société française de tempérance, 1872 ; Union française anti-alcoolique, 1895) est actif. Mais ni le vin ni le jeune ne sont pris pour cibles (Freyssinet-Dominjon, Nourrisson, 2009) : c’est l’homme adulte buveur de spiritueux qui passe pour un dangereux alcoolique. Au même moment, la jeunesse est d’ailleurs éduquée à une certaine tempérance. Par la circulaire du ministre de l’Instruction publique Raymond Poincaré, en 1895, un enseignement anti-alcoolique est diffusé dans les écoles et touche toutes les disciplines scolaires. On y apprend à distinguer les « bons » alcools, les boissons « hygiéniques » tels le cidre, le vin et la bière, des « mauvais » alcools, les spiritueux, qui engendrent une « dégénérescence » non seulement des organes mais des individus et à la longue de toute la « race ». Les activités suggérées en sciences expérimentales (observations), en mathématiques (problèmes), en éducation ménagère et vie pratique, en morale et initiation civique comme en littérature (dictées), opposent le « bon » vin aux « mauvais » alcools. Pendant plus d’un demi-siècle, l’État est donc parfaitement responsable des modes d’alcoolisation de sa jeunesse |