Résumé : | Depuis 1992, les enfants et les adolescents sont accueillis dans deux groupes éducatifs, d’abord dans le groupe des plus jeunes, puis à partir de 10 ans dans le groupe des grands. Vers l’âge de 13 ans, ils entrent également au service de suite. Durant ce parcours de plusieurs années, le travail de subjectivation, d’autonomisation se poursuit et se décline dans une temporalité avec l’enfant et sa famille.
Le groupe des grands est changeant, au rythme des entrées et des sorties de l’hôpital de jour, mais aussi en fonction de la douzaine de jeunes qui le composent. Chaque nouvelle rencontre est singulière et nous engage sur la durée dans un travail très proche avec le jeune adolescent et sa famille. Nous avons à trouver et à préserver l’équilibre fragile et toujours en tension entre prendre soin de chacun et porter attention à la vie du groupe. C’est à partir de cette inscription dans le groupe des grands que les jeunes adolescents sont invités à se déployer dans le cadre du projet de soin institutionnel élaboré pour eux et avec eux.
À notre place d’éducateurs référents, nous accueillons au quotidien et dans la continuité chaque jeune dans ce qu’il exprime et dit. Nous l’étayons à transformer ce qu’il amène dans quelque chose qui fasse sens pour lui-même et qui lui permette de prendre place auprès des autres. Nous mesurons l’angoisse qui accompagne ce travail et les attaques des liens, du cadre et de la pensée même, qui sont à l’œuvre. Nous percevons aussi les élans, les ouvertures et prises de risque possibles pour chacun d’eux dans leur désir de grandir, de découvrir, d’accéder à la culture commune, d’inscrire une trace et de (se) mettre en récit.
Cela nous conduit à inventer, à moduler et questionner constamment notre pratique et nos outils auprès de nos collègues dans leurs différentes fonctions.
Que chacun puisse prendre place nécessite de proposer un cadre contenant, constant et souple. Dans ce groupe en permanente construction, nous avons mis en place des repères, des instances de parole, des médiations spécifiques. Nous engageons beaucoup de nous-mêmes dans la façon dont nous l’animons et dans le choix des médiations proposées. À cette étape de leur entrée dans l’adolescence, nous accordons une grande place à la circulation de la parole et aux relations qui se cherchent et se nouent entre pairs.
Les liens sont au cœur de notre travail et se jouent également dans la façon dont nous construisons le projet du groupe, en garantissant et en articulant des temps forts où les jeunes se retrouvent.
Lors de la réunion quotidienne du matin, nous invitons et soutenons chacun à être présent et à prendre la parole, nous accueillons ce qui surgit. Nous observons, avec le recul des années, que les jeunes adolescents se saisissent de cette instance pour exposer et traiter – avec nous les professionnels, mais aussi en présence de leurs camarades, partenaires et témoins – ce qu’ils n’arrivent pas toujours à exprimer dans le cadre d’une relation duelle. Lors de cette réunion, il s’agit aussi de faire une place à l’autre et de l’écouter. Nous avons à traiter et à réguler ce qui peut s’exprimer des relations et des tensions, en convoquant – et en dramatisant souvent – toute la palette des émotions et des sentiments, en nommant et rappelant les règles simples du vivre ensemble. Lors de ces réunions, nous échangeons également à propos des projets en cours ou à venir. Le temps du mercredi est notamment consacré aux sorties et visites de musées, d’expositions, aux séances cinéma ou vidéo, à la réalisation de planches (style « roman photo »…). Le mardi après-midi, le groupe se retrouve pour un temps d’échanges, de réalisations et de reprise.
C’est dans ce contexte très rapidement exposé que prennent place cette réflexion et ce témoignage.
À l’hôpital de jour epi, nous proposons différentes médiations culturelles et artistiques aux enfants et jeunes adolescents accueillis (5-16 ans) : histoires et contes, arts plastiques, bibliothèque, chant, terre, atelier d’écriture, théâtre, bibliothèque, travail sur l’image et visionnage de films…
Partons de l’étymologie de ces trois mots : culture, art, médiation.
Le mot « culture » nous renvoie au verbe latin « colo(ere) » qui signifie habiter, cultiver, soigner la terre et par extension l’esprit, l’intelligence. Chez les enfants et les adolescents dont nous prenons soin, quelque chose de la construction de soi n’a pas été ou mal approprié, symbolisé et intégré. En ce sens, il nous semble que tout ce que nous pensons et mettons en œuvre dans nos institutions participe de cette idée : nous travaillons à humaniser, à transmettre.
« Ars » désignait l’habileté, le métier. Dans le domaine de l’esthétique, « art » est associé au beau, alors que la technique est associée à l’utile (aujourd’hui, on voit bien que les deux peuvent être liés). Nous pourrions dire alors qu’avec les médiations culturelles et artistiques, nous soutenons le mouvement de « produire » du sujet, du sujet et du groupe, à partir de découvertes, d’explorations et de pratiques dans le domaine de l’esthétique, du sensible, de la place faite à l’émotion. Nous n’en attendons pas un résultat tangible, quantifiable, évaluable.
Quant au mot « media », utiliser des médiations, c’est dire à l’enfant, à l’adolescent : entre toi et moi, il y a un espace, un espace qui est soutenu par la parole mais qui ne tient pas qu’à elle. Cet espace de jeu à la fois nous sépare et nous permet de nous rencontrer. Le travail pourrait se situer là où les deux aires de jeu se rencontrent (Winnicott parle de « conversation »).
Dans Jeu et réalité, l’espace potentiel, Winnicott écrit : « Nous voyons (donc) que ce n’est pas la satisfaction pulsionnelle qui permet à un bébé de commencer à être, de commencer à sentir que la vie est réelle et à trouver qu’elle vaut la peine d’être vécue […], on ne peut parler d’un homme qu’en le considérant avec l’accumulation de ses expériences culturelles. Le tout forme une unité. J’ai employé le terme d’expérience culturelle en y voyant une extension de l’idée de phénomènes transitionnels et de jeu, mais sans être assuré de pouvoir définir le mot “culture”. En fait je mets l’accent sur l’expérience. En utilisant le mot de culture, je pense à la tradition dont on hérite. Je pense à quelque chose qui est le lot commun de l’humanité, auquel les individus et les groupes peuvent contribuer, et où chacun de nous pourra trouver quelque chose, si nous avons un lieu où mettre ce que nous trouvons |