contenu dans : L'espace de la pesanteur, le bébé prématuré et l'enfant avec TED / André BullingerTitre : | L’enfant avec un trouble envahissant du développement (ted) | Type de document : | Chapitre d'ouvrage | Auteurs : | André Bullinger, Auteur | Pages : | p. 95-111 | Langues : | Français (fre) | Résumé : | Tonus et constitution du schéma corporel
Le tonus que l’on peut observer chez les enfants porteurs d’un trouble envahissant du développement est souvent difficile à comprendre. C’est en suivant leur développement particulier que l’on peut amorcer une compréhension de la place que prend le tonus dans leur développement. Rappelons la définition que donne Wallon (1985, p. 44) du tonus : « Le tonus est ce qui peut maintenir les muscles dans la forme que leur a donnée le mouvement si celui-ci vient à s’interrompre. Il accompagne le mouvement pour en soutenir l’effort dans la mesure des résistances rencontrées, mais il peut s’en dissocier et le transformer en une attitude stable, c’est-à -dire en immobilité. Le tonus a un réglage complexe que mettent en évidences les diverses sortes d’hyper ou d’hypotonie liées à des lésions de siège différent dans le système nerveux. Il est l’étoffe dont sont faites les attitudes et les attitudes sont en rapport, d’une part, avec l’accommodation et l’attente perceptive et, d’autre part, avec la vie affective. »
Les moyens de la modulation tonique sont au nombre de quatre (Bullinger, 2004). En les hiérarchisant par leur ordre d’apparition dans le développement, on trouve : les niveaux de vigilance, les flux sensoriels, le dialogue tonique et les représentations.
Les variations toniques entraînent un ensemble de sensations internes à l’organisme qui délimitent ce qu’on pourrait appeler une « zone d’influence ». La masse corporelle, siège de sensations diffuses, détermine cette zone d’influence. Dans cette situation, les frontières de l’organisme ne sont pas nettes, c’est un gradient qui fluctue en fonction des variations toniques.
Cette variation de consistance de la masse musculaire va constituer la « face interne » de l’enveloppe corporelle. Elle trouvera ses limites en s’appuyant sur les signaux sensoriels qui, eux, vont s’inscrire sur la face externe. Progressivement, cette zone frontière va diminuer d’épaisseur et face interne et face externe vont constituer les deux côtés de l’enveloppe corporelle.
Ce processus d’élaboration des représentations de l’organisme ne se réalise pas simultanément sur tous les segments de ce qui deviendra le corps. Wallon (1985, p. 65) nous rappelle que « tant qu’un organe n’a pas atteint le stade instrumental, il n’est pas encore complètement intégré au corps dont il fait partie et il conserve une sorte d’individualité et d’extériorité ».
C’est au gré des interactions avec le reste du milieu que se constituent des représentations de l’organisme par l’investissement successif de différents espaces. Wallon (1985, p. 71) est clair sur ce thème : « Le schéma corporel est une nécessité. Il se constitue selon les besoins de l’activité. Ce n’est pas une donnée initiale ni une entité biologique ou psychique. C’est le résultat et la condition de justes rapports entre l’individu et le milieu. L’étude de l’enfant permet déjà d’apercevoir quelques étapes de son acquisition. »
L’enfant porteur d’un trouble envahissant du développement a raté certaines étapes de cette construction représentative et va se donner des moyens pour contourner son échec. Suivant le niveau de développement que l’enfant a atteint, les moyens mis en œuvre vont différer, mais dans tous les cas le tonus va jouer un rôle de premier plan.
À travers des observations cliniques, on va tenter de restituer quelques-unes de ces étapes.
Les situations d’agrippement (oral, visuel, manuel et de « collé à » l’adulte) sont très présentes dans cette population. C’est un mode de se tenir debout qui ne suppose pas qu’une structure osseuse puisse, avec une mobilisation tonique de la masse musculaire, tenir le corps érigé.
À défaut de cette ressource d’agrippement, l’enfant maximise la surface de contact avec le sol. Il recherche le contact avec des surfaces froides qui sollicitent le système tactile archaïque. Pour que de telles sensations soient maximales, le tonus doit être très bas afin que la peau bénéficie de contacts les plus larges possibles. Cette recherche active donne l’impression que l’enfant n’est rassemblé que par une tension de surface comparable à celle d’une goutte de mercure glissant sur le sol.
La sensibilité à la température va progressivement se doubler de sensibilités pour des textures et des sensations vibratoires procurées par les surfaces de contact.
À ce stade, on a l’impression que l’enfant découvre un « fond » et l’éprouve. C’est à ce moment du développe ment que l’enfant accepte que l’on place sur lui un dôme qui complète la découverte du fond. Cette contenance polarisée par le fond offre une première orientation face aux forces de la gravité : le bas.
Si l’on offre à l’enfant une surface délimitée par une frontière (un plancher mobile délimité par un rebord), il peut s’approprier cette surface et en faire ses « eaux territoriales ». La matérialisation des frontières et son respect par l’entourage humain amènent une stabilité tonique de l’enfant qui contraste avec ce qui se passe lorsqu’il est en dehors de cette surface.
La conscience des frontières va progressivement s’intérioriser à travers des modulations toniques répétées, s’appuyant sur le « bas ». Le recrutement tonique donne de l’épaisseur, créant une masse corporelle ressentie comme un volume et un lieu. La variation tonique et le gradient de sensation, associés, vont donner des limites corporelles, certes fluctuantes, mais qui progressivement vont se distinguer du support contenant.
En cas de difficulté de cette constitution des frontières de l’organisme, on observe des conduites qui maximisent l’une ou l’autre des composantes de l’enveloppe corporelle. Si c’est la face interne qui est privilégiée, pratiquement tous les muscles sont en cocontraction, l’enfant s’enferme dans une carapace musculaire qui le tient. Ces enfants n’ont pas d’adaptation tonique lors de contacts corporels avec autrui et paraissent très lourds. Le tonus des gestes est mal ajusté, le langage est explosif avec des énoncés très brefs, la respiration est souvent courte et hale tante. C’est la face interne de l’enveloppe qui tente de compenser le manque d’équilibre entre face interne et face externe. On parle parfois de « moi muscle ».L’autre solution que l’on peut observer relève d’un excès sur la face externe. L’enfant est très laxe, recherche les contacts avec les rideaux, les parois, les textures variées. Cette recherche de sensations tactiles archaïques actualise des limites corporelles qui n’arrivent pas à se stabiliser. Ces enfants sont très fluides, leurs mains, avec des doigts longs et fuselés, font parfois penser aux venus de Botticelli. Ces enfants sont généralement mutiques.Ces avatars de développement sont fréquents et les moyens thérapeutiques ne sont pas les mêmes dans les deux situations.La présence de signaux sensoriels liés aux mouvements va permettre l’exercice de schèmes d’actes qui font partie de conduites biologiquement déterminées : mordre, sucer, prendre, secouer, jeter. Si ces conduites sont adossées à une masse corporelle, elles prennent une valeur instrumentale susceptible de combinaisons et d’orientation spatiale, l’enfant se reconnaissant comme étant un lieu dans un espace.Relativement aux conduites primitives d’agrippement, les conduites instrumentales utilisent les mêmes schèmes sensori-moteurs. Mais ces schèmes sont maintenant susceptibles de modulations et d’adaptations bien autre ment que par l’agrippement qui tient plus du spasme où les signaux sensoriels ne font que renforcer le tonus, sans prise en compte de l’espace et des propriétés sensorielles de l’objet saisi.Pour ces enfants, la découverte de l’architecture squelettique se fait souvent par des contacts vifs avec des surfaces dures. Ces percussions font ressentir la charpente osseuse. Par exemple, des chutes répétées sur les fesses créent un tassement qui fait exister la colonne vertébrale et l’axe corporel. L’intérêt pour les jointures (coudes, poignets, genoux, hanches), la vérification de la solidité de ces articulations relèvent de cette même problématique.Les aspects expressifs peuvent émerger lorsque la masse corporelle est reconnue. Les regards et les essais de contact et d’accordage tonique avec autrui dépassent « le collé à ». La modulation tonique suscitée par ce dialogue est plus ample et plus fine que les variations produites antérieurement. C’est une nouvelle source de modulation tonique qui donnera au tonus sa dimension émotionnelle. Cette modulation tonico-émotionnelle va conforter les frontières corporelles et les propriétés de l’espace inter-personnel.La description qui est faite ici hiérarchise les moyens de compensation qu’élaborent ces enfants. Dans l’observation clinique, on peut voir que ces paliers d’équilibre fluctuent. Tel enfant sera susceptible de conduites instrumentales lors-qu’il est bien contenu, puis les appuis faisant défaut, il peut retourner à des conduites d’agrippement.On espère que progressivement les conduites adaptées opèrent un frayage et s’imposent, ne laissant qu’un espace résiduel aux autres conduites.En résumé, par sa modulation, le tonus offre les premières sensations de corporéité. Il fait exister, en lien avec des signaux sensoriels, un « fond » qui permettra de démarrer la station érigée autrement que par les agrippements. Les ajustements toniques sur bases sensorielles permettront les conduites nstrumentales. Enfin le dialogue tonique apportera la dimension tonico-émotionnelle permettant des modulations ayant un caractère expressif. | Permalink : | https://bibliotheque.helb-prigogine.be/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id= |
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