Résumé : | À la fin de Malaise dans la culture, Freud fait mention des « pathologies des communautés culturelles [1]
S. Freud (1930), Das Unbehagen in der Kultur, Frankfurt am…
». Cette position qui affirme l’existence des pathologies propres à la culture ne doit pourtant pas être confondue avec celle qu’on pourrait qualifier d’un hygiénisme capitaliste propre à notre époque. Le sens de la réflexion clinique de Freud sur la polis est de tout autre nature et ne souffrirait pas de se laisser confondre avec un désir de pouvoir. La réflexion freudienne le conduit aux impasses de la souffrance dans la culture telle que celle-ci est pensée par lui. Une logique toute particulière s’établit entre la notion de souffrance, celle de jouissance et celle de guérison pour Freud. Pour aller sans détour au sujet, il s’agissait pour lui de tenter de construire une équation où les exigences de la société civilisée seraient mises en relation avec la constitution psychique de l’être humain. Selon Freud, cette équation ne se résout pas, et son reste est le malaise, la souffrance humaine inhérente à la vie civilisée. Car si l’interdiction de la jouissance est la condition de la civilisation, la souffrance qui en découle devra être considérée comme constitutive. Il s’ensuit que l’idée même de guérison devra trouver une définition autre que celle d’opposition à la maladie, ou de réduction des organes à un silence fictif.
Une des conséquences d’un tel diagnostic est que chaque moment de la culture amène à la surface de nouvelles expressions psychopathologiques. Autrement dit, il n’y a pas de culture sans la souffrance qui lui soit propre et, d’une certaine façon, nécessaire. C’est la raison pour laquelle les nouvelles expressions psychopathologiques et leur relation avec le masochisme peuvent et doivent être l’objet d’une réflexion dans notre culture actuelle. Je me réfère ici, d’une part, à des phénomènes franchement pathologiques : les addictions, les troubles alimentaires, les dépressions. D’autre part, à des phénomènes pas nécessairement pathologiques, mais qui, d’une certaine manière, intriguent : sports extrêmes, modifications corporelles, conduites à risque chez les jeunes, alcoolisation rapide, etc.
La nouveauté de ces expressions de la souffrance contemporaine renforce, à notre avis, l’hypothèse qu’une récente réorganisation serait survenue à l’interface de l’espace social et des exigences pulsionnelles des sujets. Pour tenter de comprendre, du point de vue métapsychologique, de quelle réorganisation il s’agit, il sera nécessaire de comparer notre culture avec celle qui fut pensée par Freud. J’invite, en ce sens, à utiliser le même outil conceptuel que Freud quand il pense la culture, à savoir la sublimation. En effet, pour lui, la culture dépend nécessairement de la sublimation pour s’instituer et s’épanouir. Pourtant, si la sublimation a été constamment idéalisée par les psychanalystes, Freud la relie quant à lui régulièrement à la genèse des pathologies psychiques. Ainsi, je parie sur le fait que la pathogenèse de la sublimation doit encore être un bon guide pour penser les pathologies d’aujourd’hui [2]
[2]N. Da Silva Junior, « A sublimação na contemporaneidade : o…
Dans ce pari, je prétends reprendre la relation de la sublimation avec deux malaises de la culture que j’ai mentionnés ci-dessus : la formation des névroses et le masochisme moral. Je présenterai ensuite certaines idées sur la relation entre les structures discursives de notre culture et les nouvelles expressions psychopathologiques. Pour cela, je vais décrire ce que je nomme « déplacement de l’architecture du masochisme », cette architecture passant, selon moi, d’un principe de verticalité à un principe d’horizontalité psychique |