Résumé : | La clinique psychanalytique de l’anorexie et de la boulimie nous confronte avant tout à la question du corps, ainsi qu’à la spécificité des processus qui ont lieu à l’adolescence, particulièrement en ce qui concerne les filles. La question du corps dans la psychanalyse m’occupe déjà depuis de nombreuses années et a été à l’origine de trois de mes livres. Le troisième, qui aborde justement l’anorexie et la boulimie, tente de contribuer à mieux comprendre non seulement les distorsions de l’image corporelle, si fréquentes dans ces cas, mais aussi les avatars de la relation précoce mère-bébé et leur rapport avec les identifications, et, par conséquent, avec les idéaux, la différenciation, l’autonomie, le temps et la mort.Néanmoins, je n’ai pas l’intention de reprendre ici l’ensemble des hypothèses qui ont été discutées à cette occasion, ni même de m’arrêter sur toute la complexité du maniement transférentiel de ces cas cliniques. Dans cet article, mon but est de mettre en évidence la spécificité des processus de l’adolescence féminine, avec l’objectif de proposer une réflexion à propos des vicissitudes de la relation mère-fille et son rapport au corps, particulièrement dans l’anorexie.On sait que l’adolescence est un moment privilégié dans la constitution du sujet, car elle accroît la relation du jeune avec le monde, avec des exigences croissantes et absolument nouvelles. Le conflit habituel de cette phase se situe entre une nostalgie du passé et un désir de se lancer dans le monde. Une espèce de mort de la relation infantile survient, particulièrement avec la mère, et les références identitaires vont être données désormais par le groupe, par la classe, par la « tribu ». C’est là toute la complexité du travail psychique qui sera exigé de l’adolescent, qui devra s’appuyer sur le social pour atteindre ce nouvel ordre symbolique.De plus, le corps adolescent, en raison des changements hormonaux qu’il traverse, est exposé, dès la puberté, à l’intensité pulsionnelle propre à cette phase. Cette intensité produit des modifications surprenantes pour le jeune, qui doit se confronter à des sensations corporelles inquiétantes, non seulement par leur intensité mais aussi par la nouveauté qu’elles représentent.
Ces modifications vont lentement marquer la transformation du corps infantile en corps adulte. Ce n’est pas sans sursauts et craintes que ce passage se déroule, les changements sont tantôt excessivement rapides, tantôt excessivement lents au vu des attentes et des aspirations du jeune. Dans le silence de la chambre, le miroir est adoré et craint. Dans le tumulte du dehors, le regard de l’autre est un miroir implacable, qui permet d’idéaliser le corps ou de l’abandonner à son propre sort. En témoignent l’excès de poids, ordinaire chez les adolescents, la constatation de hauts niveaux de cholestérol chez certains jeunes, sans parler des régimes radicaux pour maigrir, particulièrement présents dans la vie des filles. Ce n’est pas par hasard que l’adolescence évoque, de manière éloquente, ces deux pathos, souffrance et passion, mis en évidence par la primauté de l’altérité à l’origine de la constitution du sujet. À partir de là , il n’est pas difficile de comprendre que la puberté et l’adolescence sont des périodes favorables à l’apparition de divers déséquilibres psychopathologiques, parmi eux l’anorexie et la boulimie. Dans ces pathologies, outre la problématique des distorsions de l’image du corps, on observe aussi une difficulté marquée de discrimination entre le dedans et le dehors. Tout se passe comme si le corps propre n’exerçait pas ici une de ses fonctions qui est de poser des limites entre moi et l’autre. Cette difficulté de discrimination entre le dedans et le dehors signale l’importance de la précarité des frontières entre le sujet et l’objet, mise en évidence par l’absence d’autonomie et par une difficulté de différenciation de la figure maternelle. C’est à la réflexion sur ce point précis que je vais me consacrer. |