Résumé : | L’esthétique des marques corporelles sert aujourd’hui à la fabrique du corps idéal. À l’envi, chacun peut en user pour jouir d’un certain cachet sur la scène du monde et se complaire idéal à soi-même dans le miroir de l’Autre social. Ces marques sont volontiers investies pour améliorer l’image du corps et la rehausser d’un brillant phallique, ce particulièrement à l’époque du pubertaire. La clinique nous enseigne aussi que le sujet tente, par la marque, de traiter le réel du corps pulsionnel auquel il se confronte à l’adolescence ; d’en civiliser la jouissance inédite par corporisation signifiante. Cette prise du signifiant sur le corps qui en passe par le procès de son entame est une issue qui, pour moderne qu’elle soit, n’est guère heureuse. Elle résulte de la ruine de l’Autre qui fait malaise dans la civilisation depuis la faillite des discours porteurs d’idéaux au profit de l’inflation de l’objet à consommer sans parole et collectivisation. À la fois conséquence et réponse au déclin de l’Autre, elle mène le sujet à inscrire sur son corps les limites que ce dernier ne lui fournit plus pour réfréner la jouissance. Souvent ne suffisant pas – cas des piercings et tatouages qui vont en se multipliant d’être peu fantasmés –, il n’est pas rare qu’elle vire en impasse quand le sujet tire jouissance de la souffrance corporelle qu’il s’inflige – cas des scarifications artistiques qui tournent vite à l’abus. Cette solution appartient au pragmatisme des temps modernes. Il s’agit de recourir à des conduites qui ménagent du manque dans le réel pour équilibrer le rapport à la jouissance.Le statut pris par les marques corporelles dans le discours courant, surtout, interroge. Elles sont revendiquées comme des signes d’identité permettant l’affirmation de soi sur la scène du monde [1]
[1]D. Le Breton, Signes d’identité, Paris, Métailié, 2002.
. C’est dire l’absence du comptable et de la différence pour que le sujet en vienne à se compter, avec ses particularités, comme un parmi les autres à partir de ses entailles. Dans cette époque où « l’Autre n’existe pas [2]
[2]J.-A. Miller, E. Laurent, L’Autre qui n’existe pas et ses…
», c’est surtout mettre en évidence la forclusion du sujet pour qu’une telle comptabilité apparaisse dans le réel sous couvert du souci promotionnel de soi. Pour le rentabiliser, le capitalisme a d’ailleurs subverti en processus d’individualisation la pratique rituelle des marques corporelles des sociétés traditionnelles permettant d’inscrire la place du sujet dans le champ des relations du groupe. Pour servir à la marchandisation, il a recyclé celle, contestataire, de la mouvance underground qui en usait pour se singulariser en opposition à la société conventionnelle et ses circuits de masse. Révélant, dit-on, la personnalité, la marque corporelle est en effet vendue sur le marché comme une griffe singulière censée faire toute la différence et conférer, par son caractère unique, une identité propre.En défaut d’identité, le sujet, cet étant dont l’être est toujours ailleurs, succombe aisément aux sirènes d’une telle réclame. Trouvant à faire fortune, elle incite chacun, en usant d’un signe distinctif, à se démarquer comme sans égal dans le lien social ; à faire Un avec lui-même en se passant de l’Autre. Que le névrosé puisse y croire et sa solitude sera de taille. Pour ceux qui, de structure psychotique, ne peuvent prendre appui que sur le narcissisme de l’image pour fonder leur assise dans le monde, les marques corporelles ainsi promues ne manquent pas d’attraits pour tenter de pallier l’absence du repère symbolique de leur singularité (S1) ; la marque différentielle du sujet qui leur fait défaut. Les cas suivant l’illustrent. Leur analyse permet aussi de cerner que le recours à la marque traite la jouissance insoumise à la loi de la castration qui se déchaîne sur fond de présentification du mauvais œil. |