Résumé : | « Pour dire les choses d’une manière très simple, l’adolescent nous confronte aux exigences les plus opposées par rapport à la génitalité, par rapport à la sexualité, par rapport à la différence homme-femme, par rapport à la scolarité, aux adultes. À cet univers impitoyable, comment réagit-il ? Il pourrait dire comme Prévert : “Je pense à autre chose mais je ne pense qu’à ça”. »
Raymond Cahn Autour de l’œuvre de R. Cahn. Vers un nouvel espace analytique, Paris, Inpress, 2009
« Changer de sexe ? Mais c’est aussi simple que d’apprendre à voler : on se jette en avant, et on rate le sol… »
Kate Bornstein citée par P.H. Castel, La métamorphose impensable, Paris, Gallimard, 2003
La transition transsexuelle, envisagée ou revendiquée par un adolescent ou une adolescente, confronte le psychanalyste, le psychothérapeute, à une énigme bouleversante et vertigineuse. Bouleversante car elle exprime une détresse immense et propose, comme l’écrit Castel, « un court-circuit troublant entre une question de catégorisation et la remise en question radicale du corps pouvant aller jusqu’à l’atteinte directe de la chair » (Castel, 2003). Bouleversante car on perçoit, parfois jusque dans le malaise contre-transférentiel qui affecte notre propre corps de thérapeute, qu’il peut s’agir d’une question de vie ou de mort. Bouleversante également par la détresse et l’incompréhension dans lesquelles elle plonge, le plus souvent, les parents. Enfin, énigme vertigineuse car, à l’instar de celle de la sphinge, elle nous projette dans un champ de questionnements infini, succession d’apories : qu’est-ce que la nature humaine ? Qu’est-ce qui la définit ? Quelles sont ses limites ? À quelles réalités doit-elle se soumettre ?…
De cette rencontre aucune vie psychique, ni aucun savoir un tant soit peu rationalisant ne peuvent en sortir indemnes. C’est ce qu’expérimentent le psychanalyste ou le psychothérapeute qui rencontrent un adolescent souffrant, selon la nosographique actuelle, de dysphorie de genre. Dans mon expérience clinique, j’ai le plus souvent rencontré des adolescents ou adolescentes en grande détresse, entourés de parents eux-mêmes en souffrance, dans l’angoisse et l’incompréhension, sentiments et affects parfois amplifiés par la rencontre d’un corps médical leur semblant accepter comme une évidence banale la perspective d’une transidentité, avec ses conséquences sur les possibles changements du corps à venir (fréquemment évoqués par les parents sous le terme de mutilations). Quel travail psychothérapique et psychanalytique peut-on proposer et mettre en œuvre avec ces adolescents ? Des adolescents dans un désir de transition parfois si clairement, voire bruyamment explicité, pour qui leur corps est devenu un objet d’embarras voire de détestation, alors que nous sommes par ailleurs familiers, dans le travail psychothérapique durant cette période de développement, des possibles flottements et confusions concernant l’identité sexuée (identité de genre) et les préférences sexuelles. |