Résumé : | Introduction
La cinétose des simulateurs ou Mal des simulateurs (MdS ), plus communément présentée sous son appellation anglaise Simulator Sickness est un syndrome similaire à la cybercinétose et par conséquent à la cinétose (trouble qui se manifeste dans une situation de discordance entre la perception visuelle et le système vestibulaire, souvent assimilable au mal des transports) [1]. Cette forme de cinétose est induite par les effets d’un simulateur de conduite ou de pilotage virtuel(le) d’un engin motorisé. Ces simulateurs se composent de plateformes, parfois mobiles, associées à un écran d’ordinateur, avec ou sans suivi des mouvements de la tête1 [2, 3].
Le MdS est gouverné par un ensemble de symptômes inconfortables, globalement similaires à ceux ressentis en cas de cinétose ou de cybercinétose : vertiges, nausées, vomissements, céphalées, etc. [3].
L’épidémiologie du MdS dépend de nombreuses variables. Les deux principales reposent sur l’âge de l’utilisateur et l’expérience qu’il a accumulée en situation réelle et virtuelle. Plus le sujet est expérimenté dans les manœuvres réelles affiliées à son véhicule de prédilection, plus il présente de risques de développer un MdS qui correspond à la version virtuelle de son véhicule de choix. En considérant qu’un individu âgé est davantage expérimenté en situation réelle qu’un sujet jeune, cela expliquerait une prévalence du MdS plus forte chez les sujets âgés, moins habitués à l’environnement virtuel [2]. Les femmes sont également davantage touchées par les différentes cinétoses. Trois théories explicatives existent à ce sujet : la sensibilité des femmes face aux cinétoses reposerait sur l’influence hormonale, la différence de stabilité posturale avec les hommes et le fait que les femmes disposeraient d’un plus grand champ de vision [4, 5].
À ce jour, plusieurs échelles permettent la mesure objective du dérangement provoqué par le MdS : la Misery Scale [6], l’échelle numérique et visuelle analogique de Baxter [7], le Simulator Sickness Questionnaire (SSQ ) [8], considéré comme le questionnaire de référence actuel [9], ou encore le Revised Simulator Sickness Questionnaire [10].
Le développement des simulateurs et de la réalité virtuelle, l’amélioration de l’accès à la réalité virtuelle et de l’augmentation de ses utilisateurs, l’ampleur que prend le multivers2 font que l’apparition de cinétoses associées à ces activités risque de s’accroître dans un futur proche.
L’adaptation aux conditions du simulateur semble être l’unique option non médicamenteuse–et la moins contraignante–pour lutter contre le MdS bien que d’autres méthodes existent à l’instar de l’habituation qui consiste, selon Lacour et al. , à la réduction progressive de la réponse vestibulaire à un stimulus par une répétition d’expositions à ce même stimulus [11].
Objectif
L’objectif principal de cette revue de littérature était d’évaluer l’effet du phénomène d’habituation sur les dérangements liés au MdS, objectivé par le Simulator Sickness Questionnaire et ses dérivés, chez les utilisateurs de simulateur.
Méthode
Une recherche a été réalisée dans neuf bases de données sans aucune restriction de date de publication : Pubmed, Science Direct, Google Scholar, HAL, Cochrane, PEDro, Kinédoc, LISSA, WanFang Med Online.
Une première équation de recherche de cette revue, basée sur la question PICO « La rééducation vestibulaire par habituation permet-elle de réduire le dérangement objectivé par le score SSQ et ses dérivés chez les utilisateurs de simulateurs ? » a été établie sous la forme : (Simulator Sickness ) AND ([Habituation ] OR [Adaptation ]) AND (Simulator Sickness Questionnaire ). Il en est issu 59 articles.
Face aux lacunes des données actuelles de la science à ce sujet et dans le but de limiter l’effet « silence » de la première recherche, une équation de recherche alternative a été privilégiée en retirant les termes ([Habituation ] OR [Adaptation ]) : Simulator Sickness AND Simulator Sickness Questionnaire OR Simulator Sickness Score.
La première sélection d’articles a été réalisé par lecture du titre. La seconde sélection concernait l’exclusion des articles en doublons. La troisième sélection a été effectuée par lecture de l’abstract. La sélection finale reposait sur la lecture de l’entièreté de l’article.
L’évaluation de la qualité méthodologique des études sélectionnées reposait principalement sur l’échelle PEDro qui a montré de bonnes caractéristiques clinimétriques [12]. L’échelle Risk of Bias Tool , qui prend en compte la clarté des informations apportée par les études, a également été utilisée pour complémenter les résultats de l’échelle PEDro.
Résultats
L’équation de recherche établie et ses variantes ont permis d’obtenir 1386 articles. Après sélection et étude de l’éligibilité des articles, l’auteur de la revue a inclus huit articles desquels il a extrait les caractéristiques principales des effectifs, la méthode et les résultats à la mesure du dérangement pré- et post-exposition au simulateur.
Les scores PEDro variaient de 3 à 7 sur 10 (Figure 2). Cette étendue représente un score général bas, donc un fort risque de biais. Cependant, une étude peut avoir un haut score et donc présenter peu de biais bien que ceux-ci soient importants, contrairement à une étude qui aurait un faible score, associé à de nombreux biais mineurs. L’ensemble des biais ne présente pas forcément de similarité sur l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’étude.
Le graphique de la Risk of Bias Tool (Figure 3) montre les mêmes déficits que l’échelle PEDro : des lacunes sur les processus de randomisation et d’allocation comme sur la mise en aveugle des études incluses.
L’intervalle de confiance standardisé n’a pu être construit que pour six des huit articles inclus pour établir une modélisation sous forme de forest plot (Figure 4) ; les résultats extraits de Couture et al. , 2019 et Reed et al. , 2007 ne permettaient pas le calcul d’un intervalle de confiance ; ils ont donc fait l’objet d’une analyse qualitative.
Discussion
L’effet d’habituation diminue le dérangement provoqué par le MdS (différence moyenne standardisée [DMS] de 1,52 [0,15 ; 2,88]). Cependant, ces résultats présentent de nombreux biais, ce qui occasionne une très forte hétérogénéité (I2=98 %) entre les études.
Les études de Helland et al., 2016 (DMS 0,73 [-0,07 ; 1,53]) et Wienrich et al., 2022 (DMS 0,54 [-0,03 ; 1,12]) ne valident pas l’effet de l’habituation. Helland et al ., 2016, n’avaient pas pour objectif principal de mesurer l’effet de l’habituation, mais d’observer l’effet de l’alcool sur le MdS, ce qui rend difficile l’objectivation de la mesure. De plus, la mesure a été réalisée avec l’échelle numérique de la nausée. Les auteurs eux-mêmes soulignent cette controverse. Enfin, sur un échantillon de 20 sujets, seuls 13 ont été inclus dans les résultats. Wienrich et al ., 2022 ont objectivé le dérangement en se basant sur une simulation en réalité virtuelle. Leur étude avait un double objectif : l’impact de l’exposition répétée sur le MdS et l’impact de la présence ou non d’un nez virtuel sur le MdS. Les participants ont relevé que le nez virtuel ne semblait pas facilement perceptible, ce qui a pu fausser l’impact mesuré. Enfin, certaines plateformes se situaient virtuellement à 18 mètres du sol, ce qui a provoqué des symptômes de peur chez certains sujets, symptômes qui ont pu se confondre avec des symptômes du MdS.
Il est aussi intéressant de souligner que l’étude de Webb et al ., 2009 présente une DMS 4,55 [4,08 ; 5,01] largement en deçà des autres résultats en faveur de l’habituation. La population choisie peut en partie expliquer ce résultat. Les échantillons de la pré-étude et de la post-étude sont élevés en effectif comparativement aux autres études incluses dans cette revue ; elle comporte autant des sujets âgés que jeunes. Le nombre de femmes n’est toutefois pas précisé. Or, ces dernières sont davantage affectées par les troubles cinétosiques que les hommes. De plus, un délai d’une année sépare la pré-étude de la post-étude alors qu’il est nécessaire de ne prévoir que quelques jours pour laisser apparaître l’effet de l’habituation [8]. Enfin, le protocole imposait l’assimilation de recommandations anti-cinétogènes entre deux sessions dans le but de faire baisser l’apparition de MdS.
L’intervalle de confiance n’a pas pu être calculé pour les études de Reed et al ., 2007 et de Couture et al ., 2019. Ces deux études ont donc fait l’objet d’une analyse qualitative.
Reed et al ., 2007 avaient pour double objectif de mesurer l’effet d’un filtrage dans le choix des sujets de l’étude et d’appliquer une familiarisation au simulateur qui s’apparente grandement à l’habituation. L’étude comporte quatre groupes : groupe contrôle (score SSQ=18,3), groupe filtré (score SSQ=3,18), groupe familiarisé (score SSQ=12,8), groupe filtré-familiarisé (score SSQ=5,24). Le groupe contrôle présente le dérangement le plus sévère. La familiarisation pure permet de diminuer le dérangement d’environ 5,5 points, tandis que le double effet « filtré-familiarisé » permet de le diminuer d’environ 13 points. Ces résultats vont a priori dans le sens d’un effet positif de l’habituation sur le dérangement du MdS. Toutefois, plusieurs facteurs sont à considérer pour expliquer correctement le résultat de cette étude : le double objectif, le manque de représentativité de l’échantillon à cause du filtrage, ainsi que l’absence de renseignements sur l’échantillon peuvent influer les résultats et être considérés comme des biais potentiels.
L’objectif de Couture et al ., 2019 était de comparer un entraînement en simulateur avec un entraînement sur route. Les résultats sont difficilement exploitables en comparaison des autres études par le fait que les auteurs ont recensé le nombre d’inconforts sur l’échelle SSQ et non le score SSQ. La diminution du pourcentage de sujets atteints de MdS au fil des sessions est importante : elle passe de 88 % à 16 % au bout de 5 sessions d’exercice en simulateur. Cela montre une habituation acquise par une partie de l’échantillon. Cette étude étaye l’efficacité du phénomène d’habituation.
À noter que les effectifs des études varient de 13 à 199 sujets. Comme le nombre d’utilisateurs de simulateur dans la population n’est pas connu, il est difficile de juger la représentativité de ces échantillons. Par ailleurs, sur les six articles dont il a été possible de calculer l’intervalle de confiance, 124 sujets ont été perdus de vue ou exclus des résultats (30,6 % des sujets inclus) entre les deux sessions sur les 405 qui ont effectué la première exposition. Ce nombre est supérieur à 15 % de non-mesure sur les sujets initiaux et doit donc être considéré comme un biais. Enfin, certaines études ont respecté une (presque) équité entre femmes et hommes (Moss et al ., 2011 et Wienrich et al ., 2022) alors que d’autres ne s’en sont pas réellement préoccupé (Couture et al ., 2019, Domeyer et al ., 2012, Helland et al ., 2016). Au même titre, la moyenne d’âge des personnes incluses dans les études tout comme l’étendue des âges sont parfois très différentes d’une étude à l’autre. |