Résumé : | Une dizaine de bambins âgés de 3 à 10 ans est regroupée dans l’un des coins de la cour habituellement réservé à la toilette quotidienne. Une machette, plantée dans le sol, marque le centre d’un cercle. Les fillettes frappent dans leurs mains et entonnent des chants en anyi, leur langue maternelle. L’une d’entre elles tape le tempo sur une petite boîte métallique. Devant les fillettes, un garçon frappe avec deux bâtons sur de grosses boîtes de conserve. Soudain, Valérie apparaît, le corps soigneusement maquillé de blanc, un pagne blanc noué autour de la taille. Une grande sœur, âgée de 13 ans environ, est à ses côtés : elle lui tend de la poudre de kaolin, entonne un chant et fait signe au garçon d’accélérer le rythme. Valérie danse, en décrivant un cercle, salue oralement l’assemblée et serre quelques mains. Sa tête oscille, tout son corps tremble, les mains sur les hanches et les épaules en avant, sa démarche est instable, avec un talon décollé du sol. Elle lance un chant et tourne sur elle-même. Puis d’un geste ample des deux mains elle fait signe au garçon d’arrêter de jouer. Elle entonne un autre chant, aussitôt repris par les fillettes et s’applique dans l’exécution de nouveaux pas de danse (extrait du film tourné en 1993 À la question : « Que font ces enfants ? », les Anyi vous diront : « Ils jouent » (sur la notion anyi de « jeu » cf. Comoé Krou, 1977). Mais encore ?Dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, en pays anyi, on chercherait en vain des enfants en train de jouer la cérémonie de mariage comme cela existe dans nombre de sociétés de par le monde (voir notamment le film de J. Rabain, au Sénégal ). Par contre, il est fréquent de les apercevoir – comme dans les images décrites ci-dessus – en train de jouer le rituel qui est au cœur du culte des boson. Créés, comme les Hommes, par Nyamien (dieu suprême associé au ciel), les boson sont considérés comme des puissances anthropomorphes – encore qualifiées de « génies » ou de « dieux » selon les auteurs – censées habiter l’espace naturel (forêt, montagnes, cours d’eau et marigots) et avec lesquelles les villageois peuvent entrer en contact direct par l’intermédiaire d’un devin initié à leur culte (en anyi il est appelé komian). À la différence des autres devins (communément appelés duzuniê), le komian est investi d’une charge publique : à l’intérieur d’un cercle de kaolin tracé sur le sol, accompagné par un chœur de femmes et un orchestre de tambours, il « présentifie » tout à tour les boson auxquels il rend un culte. Chaque boson a un nom propre (masculin ou féminin), une personnalité, une gestuelle et des chants lui sont associés. Au cours de ces rituels dits « de possession » dans la littérature anthropologique, se déroule un dialogue oraculaire au cours duquel on demande aux puissances de la nature (boson) pourquoi tel enfant est malade ou telle femme sans enfant, et que faire pour retrouver la santé, la fécondité et la prospérité. Notons que les devins-possédés anyi sont en majorité des femmes – à la différence de leurs voisins baoulé (à l’ouest) et abron (au nord) – raison pour laquelle j’utiliserai souvent le terme au féminin. Ces rituels de possession qui ont lieu au sein de l’espace domestique de l’officiant rassemblent un public composite : non seulement des Anyi mais aussi des Dyula ou des Mosse habitant la région. Tous, quelle que soit leur confession religieuse, prennent plaisir à assister à ces manifestations publiques populaires. Seuls les adeptes des églises évangéliques récemment implantées (Église Pencetôtiste, Assemblée de Dieu et cma – Christian and Missionary Alliance, notamment) se démarquent nettement en diabolisant ces rituels et ceux qui y assistent. Quant aux enfants, ils sont nombreux à participer, dès leur plus jeune âge, aux rituels de possession « mettant en scène » les puissances de la nature. |