Résumé : | Le raisonnement médical ne peut être réduit à une démarche univoque en raison de ses fluctuations historiques et de son aspect protéiforme. Une des acmés de son évolution est illustrée par l'étape diagnostique de la méthode anatomo-clinique, qui consiste, à partir d'un recueil d'indices, à forger une hypothèse qui sera mise à l'épreuve, notamment par les examens d'investigation paracliniques. Cette démarche, à laquelle ont été formés de nombreux praticiens encore en activité, repose en grande partie sur la logique classique telle qu'elle est utilisée dans le raisonnement hypothético-déductif de Claude Bernard. La mise à jour d'autres processus mentaux comme les heuristiques, l'usage rationnel des statistiques, l'importance désormais centrale de la décision médicale dans l'ajustement thérapeutique, le surgissement de maladies systémiques et de pathologies fonctionnelles, la prise de conscience, enfin, de la variabilité des phénomènes biologiques que recouvre la notion d'incertitude, ont amplement montré l'insuffisance de l'édifice logique classique pour cerner le raisonnement médical. Cependant, alors qu'il était possible jusqu'à présent de tracer une continuité dans les démarches, le déferlement récent de la numérisation des informations renouvelle de façon inédite la question du raisonnement médical. L'introduction des données massives (big data) à partir d'informations multiples et non structurées et leur traitement par des algorithmes surpuissants conduisent à substituer la notion de corrélation à celle de cause, qui était au cœur de la démarche anatomo-clinique. Ce bouleversement, qui n'affecte pas que la médecine, porte le risque d'une relégation de la démarche réflexive qui associe le patient et le praticien. |