Résumé : | Éducatrice spécialisée, il y a neuf ans déjà que je travaille à l’epi dans le groupe des plus jeunes. Que le temps passe vite !
J’ai maintenant accueilli, accompagné au passage de groupe, vu partir bon nombre d’enfants arrivés tout jeunes en grande souffrance psychique à l’hôpital de jour. Notre travail consiste en une sorte de grand chantier de construction nommé : subjectivation. Nous tentons d’aider ces enfants si entravés dans leur être à se défaire de l’autre, afin de pouvoir exister par eux-mêmes, cela en leur donnant un cadre institutionnel rassurant qui les aidera à contenir leurs angoisses.
En tant que co-référente du groupe des jeunes, des liens se tissent avec les enfants et leurs familles. Nous travaillons avec le groupe d’enfants et d’adultes autour d’un quotidien qui se doit d’être rassurant, ritualisé, qui contient leurs angoisses parfois massives. Le quotidien est alors bien l’espace qui rythme la vie, un cadre inconscient, sécurisant et structurant, amenant chacun à se reconnaître comme sujet en relation avec d’autres… C’est dans ce cadre contenant que va se structurer pour l’enfant son rapport au monde, aux autres et à lui-même. Il va intégrer des notions de temps, de lieu, de règles, de lois, de limites mais également de la vie par le biais du quotidien.
Ce quotidien partagé institutionnellement par tous les membres de l’équipe est un authentique lieu de transfert. « Au moment où je suis responsable de l’autre, je suis unique. Je suis unique en tant qu’irremplaçable, en tant qu’élu pour répondre de lui [1]. » Nous rencontrons des jeunes en grande souffrance et sommes en permanence pris dans des transferts multiples, nos affects sont constamment sollicités ; c’est pourquoi les réunions de synthèse, réunions cliniques, temps interstitiels informels institutionnels sont des instances de parole indispensables pour l’équipe.
Engagés dans une rencontre, nous accompagnons et aidons ces enfants à aller vers une autonomie psychique et la façon d’y travailler s’inscrit dans la dynamique de la clinique du travail institutionnel.
Je souhaitais à travers cet écrit expliquer à quel point l’attachement des enfants que nous accueillons et accompagnons dès leur arrivée, jusqu’à ce moment d’une première séparation d’avec leur groupe d’accueil, est un travail très important et significatif dans leur prise en charge. D’après Maurice Berger, le processus d’attachement constitutif du sentiment de sécurité « développe – chez le tout jeune enfant – un sentiment de confiance en lui et dans les autres qui lui permet de s’éloigner pour explorer le monde [2] ».
N’est-ce pas là notre travail ? De guider tout au long de ces années ces enfants pour lesquels se séparer de ses repères n’est pas chose aisée ? Repères qui durant une longue période vont jouer un rôle d’enveloppe protectrice et contenante pour ces jeunes souffrant d’une grande désorganisation interne.
Bien que les enfants connaissent déjà en arrivant à l’epi l’éprouvé de la séparation d’avec leur école, leur institution précédente, ce moment de passage d’un groupe à l’autre fait revivre pour bon nombre d’entre eux une réminiscence de leurs angoisses et souffrances. Ce sont des enfants dont la recherche d’identité a tant besoin de structure. Il n’est alors pas rare, voire systématique, qu’une reprise des comportements qu’ils avaient tout jeunes à l’hôpital de jour se réactive comme pour interrompre ou mettre à distance le processus de grandir – donc de se séparer –, besoin de ce temps de régression avant le temps de la séparation…
Nous les accueillons, pour certains, à l’âge crucial qu’est l’entrée à l’école élémentaire. Pour les familles, il n’est alors pas aisé de s’imaginer une prise en charge soignante à long terme. Nous tentons en équipe de travailler autour de la question de la mise en sens d’une prise en charge soignante tout en leur laissant entrevoir un avenir positif réel pour leur enfant.
Il en va de même pour le passage du groupe des jeunes au groupe des grands, lequel à l’epi se fait à partir des 10 ans de l’enfant et lorsqu’il y a une place dans ce dernier. 10 ans, âge auquel les familles pensent au collège que va intégrer leur enfant… À l’epi, c’est le moment où chacun pense à la fin de l’enfance, à l’entrée dans l’adolescence… Penser à grandir peut alors être très inquiétant : se séparer de l’enfance, des adultes référents connus d’eux durant des années n’est pas si simple. Être rassuré sur le fait que l’Autre ne va pas disparaître pour eux et qu’eux ne vont pas disparaître pour l’Autre demande aux soignants un accompagnement de réassurance permanent afin de les soutenir dans leurs angoisses de continuité d’exister dans un autre groupe. Ce n’est pas tant ce qui est concrètement palpable qui est à prendre en compte dans la relation à l’Autre, mais la manière dont on s’y prend pour la mettre en œuvre, et ainsi la mener à bien – autrement dit vers la transformation, même si le terme est un peu fort à mon goût et que je lui préfère celui de changement. Pour ce faire, le travail autour de la parole est essentiel. Nos mots, leurs « maux », qui offrent du sens aux autres, ce dernier ouvrant alors la possibilité d’une organisation de leur monde psychique. « Leur monde prend sens dans les émotions et les discours qui sont tenus autour d’eux [3]. »
Ce temps de passage ou passe-âge de groupe est un processus qui débute à différents moments de la prise en charge de l’enfant. Certains enfants l’évoquent dès leur arrivée, d’autres aux alentours de leur anniversaire des 9 ans (comme pour préparer pendant des mois ce changement) ; d’autres encore ne peuvent pas rentrer dans la pièce du groupe des grands tant qu’ils n’y sont pas inscrits et sont très peu en contact avec les éducateurs de référence de celui-ci, certains ne peuvent l’évoquer mais nous montrent que ce changement est éprouvé et partagé avec nous à leur façon.
Depuis mon arrivée, j’ai accompagné bon nombre d’enfants d’un groupe à l’autre, les guidant vers un ailleurs. Deux enfants m’ont particulièrement marqué dans ce travail de passe-âge… |