Résumé : | Les rites et les cérémonies auxquels les enfants wolof participent dès leur plus jeune âge constituent des lieux privilégiés de transmission des signifiants culturels. La cérémonie du céyt (céet) qui fait partie des rites de mariage et marque le moment où l’épouse rejoint le domicile conjugal, tout comme le rituel d’imposition du nom (ngénte), sont l’occasion de fêtes animées dans tout un quartier du village. Les enfants apparaissent lors de ces rituels des participants « périphériques », associés principalement aux activités de danse. À d’autres moments, se créant un espace autonome, les fillettes d’âge différent, regroupées entre germains et voisins apparentés, mettent en scène dans leurs jeux des cérémonies similaires et en reproduisent la distribution des rôles, les chants, les danses, les négociations, et les différentes opérations symboliques.
Transmis de génération en génération, les connaissances et savoir--faire rituels doivent être repris et légitimés par chaque nouvelle génération. Comment les enfants vont-ils, grâce à l’outil que constituent l’événement rituel et son déroulement, organiser leur expérience du monde et s’approprier la grammaire sociale complexe qui s’y dessine ? Nous savons par les travaux des psychologues et psycholinguistes que très tôt les conventions conversationnelles sensibilisent l’enfant aux règles du dialogue et de la prise de tour (Bruner, 1983 ; Ninio, Snow, 1996). Mais comment l’enfant arrive-t-il à comprendre la structure des événements auxquels il participe ? Pour répondre à cette question, Jerome Bruner (1983) a utilisé la notion de format pour les jeunes enfants en début d’acquisition du langage, et Katherine Nelson (1985) celle de script. Les schémas situationnels et événementiels ou scripts, forment une structure séquentielle d’actes liés par des relations causales et temporelles (Nelson, 1985). Un schéma d’événement comme « manger le déjeuner », organise l’information sur la base de la réalité vécue, établissant un modèle général de la façon dont les choses sont ou se déroulent dans le monde. Les scripts qui organisent l’expérience sociale de l’enfant sont utilisés par lui dans ses jeux. Ils permettent à l’enfant de s’approprier le monde qui l’entoure, ses institutions, ses règles, ses rituels. Comme le souligne Vygotski (1985), ces expériences du monde s’acquièrent au travers de transactions avec autrui. Dans un article consacré à l’apprentissage, Tim Ingold (2000) souligne que des anthropologues américains comme Jean Lave ou Barbara Rogoff, influencés par les théories de Vygotski, ont traité l’acquisition du savoir comme un « processus au moyen duquel ceux qui apprennent avancent dans leur compréhension des procédures grâce à une participation au travail, guidée par des partenaires plus expérimentés » (Lave et Wenger, 1991 ; Rogoff, 2003). Pour ces auteurs, le fait d’apprendre ne peut être séparé de l’action. Les néophytes ne sont pas les réceptacles passifs d’un savoir culturel, ils participent activement et de façon créative au processus d’apprentissage en influant sur le contexte dans lequel celui-ci se déroule. Comme Bruner le souligne, la connaissance du monde pour l’enfant s’organise fonctionnellement à partir de son propre point de vue. L’expérience de l’enfant est construite sur l’action. Cette action a lieu dans des situations familières, contraignantes et témoigne d’un degré extraordinairement élevé d’ordre et de systématisation (Bruner, 1987, p. 22).Dans le texte qui suit, nous allons reprendre ces questions en examinant une expérience particulière, des séances de jeux de fillettes ayant de 2 à 12 ans, qui mettent en scène le céyt. Nous cherchons à montrer comment les enfants utilisent les saynètes de danse et le chant pour donner une cohérence à un événement cérémoniel remémoré et mis en scène. Quoique des significations différentes puissent être attribuées à ce même événement par des enfants d’âge différent, il évoque globalement le destin futur de la femme. |